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La destinée

Nouvelle, Janvier 2023, O.J.A Bisson.

Disclamer : "La destinée" est une nouvelle faisant partie de l'univers de ma série littéraire : "Ewaïs". Il n'est pas nécessaire d'avoir lu mon roman pour lire cette nouvelle mais si vous voulez en savoir plus, n'hésitez pas à aller y jeter un coup d'oeil.

 /!\ Je ne cautionne en aucun cas ce qui se passe dans les trigger Warning !

Trigger warning : Mention d'un mariage avec mineur de quinze ans.

 

   Mars 1997

 

   – C’est un miracle ! C’est un miracle !

 

   La petite fille tourna la tête vers l’homme qui venait d’entrer dans le salon avec le regard rempli de questionnement. Elle ne comprenait pas ce qui pouvait mettre cet inconnu dans cet état et surtout pourquoi il se dirigeait vers son père ainsi. Elle suivit l’homme dégarni des yeux avant qu’elle ne tombe dans ceux de sa nourrice qui la réprimanda.

   – Olivia, cela ne se fait pas de fixer ainsi les autres !

La fillette se replia sur elle-même avant de hocher doucement la tête afin de montrer qu’elle avait compris. Elle tritura doucement ses mains en repensant au châtiment que lui donnerait sa nourrice si elle n’obéissait pas. Olivia ne pouvait compter les coups de règles qu’elle avait reçus sur ses petits doigts.

Cependant, âgée de dix ans, elle ne pouvait empêcher sa curiosité de l’emporter sur la peur. Elle tourna à nouveau le regard vers l’homme d’une quarantaine d’années qui parlait à son père. Sa voix était forte et il semblait aimer s’exprimer avec de grands gestes. Tout le contraire de son paternel qui lui était un homme froid, d’une voix posée et un regard sinistre. Ses traits étaient durcis par le manque de joie qu’il pouvait ressentir à l’intérieur. Avait-il déjà souri au moins une fois dans sa vie ? Olivia ne pouvait pas s’en souvenir. Alors, lorsque soudainement, elle aperçut un rictus se développer sur les lèvres du duc Antonio Galiotti, les mots sortirent d’eux-mêmes de sa bouche.

   – Pourquoi père sourit-il ?

   Une fois la question posée, elle mit sa main devant sa bouche et retint sa respiration se rendant compte qu’elle allait sûrement se faire punir. Mais, à sa plus grande surprise, cela ne fut pas le cas, la nourrice tourna le regard vers son employeur et fronça les sourcils en remarquant qu’en effet, son visage s’était éclairé. Elle prit la main de fillette, qui releva son regard surpris sur la vieille femme, et l’emmena sur le canapé près de la cheminée afin d’entendre ce que les deux hommes pouvaient bien dire.

   – Tiens-toi droite ! fit remarquer la nourrice donnant un livre à Olivia pour l’occuper pendant qu’elle espionnait la conversation.

   Olivia ne se fit pas prier et se redressa aussitôt prenant l’ouvrage et l’ouvrit à la dixième page, là où elle s’était arrêtée la veille. Ses yeux voyageaient sur les mots, mais une oreille indiscrète et des plus attentives se concentrait sur la voix de son père.

   – Vous en êtes certain ? demanda-t-il presque incrédule.

   – Oui monsieur. Votre femme a enfin dépassé les quatre mois de grossesse, ce qui était le stade de la dernière fausse couche. Je peux donc avoir de grand espoir que celle-ci se déroule jusqu’à terme et qu’un bébé en bonne santé naîtra dans quatre mois.

   – Les Ewaïs ont enfin écouté mes prières. Depuis le temps que j’attends cet enfant, ma femme, ma très chère femme, a déjà tellement souffert. C’était vraiment notre dernière chance. Docteur, vous devez tout faire pour mener cette grossesse à terme.

   – Bien entendu, je ferai mon possible comme toujours. Votre femme est forte et ce petit garçon le sera tout autant.

   – Un garçon ?

   La voix à la fois surprise et joyeuse de son père fit sursauter la petite fille qui fit tomber son livre sur le sol. Elle n’avait encore jamais entendu ce genre d’intonation chez lui, ni même l’avoir vu avoir une telle expression sur son visage. Être heureux semblait être un euphémisme lorsqu’elle le regardait. Étrangement, cela la mit mal à l’aise, pourquoi son père réagissait-il de la sorte ? Qu’est-ce qui pouvait le rendre si heureux ? Un garçon ?

   – Voilà qu’enfin les Ewaïs ont décidé de nous donner grâce. Ce n’est pas trop tôt, je commençais à m’agacer de cette situation, marmonna la nourrice prenant sa broderie entre ses doigts.

   Olivia voulut la questionner, mais elle ne pouvait pas, elle devait se taire et obéir. C’était comme cela. Alors, lorsque la vieille femme ouvrit la bouche pour continuer à se parler à elle-même, la petite fille se rapprocha un peu plus afin de mieux comprendre.

   – Six fausses couches. Six fausses couches en l’espace de 12 ans et le seul bébé qui a réussi à survivre, n’est autre qu’une fille ! Une fille ! Il ne manquait plus que cela, qui allait reprendre le titre si un garçon n’entrait pas dans la famille ? La grandeur et la richesse iraient à un cousin, cela serait inconcevable. Mais un miracle s’est produit, un petit garçon naîtra dans ce manoir.

   Olivia détourna les yeux de sa nourrice les reposant sur le livre qui se trouvait sur ses genoux. Un petit frère ? C’est bien d’avoir un petit frère, peut-être qu’ainsi ses parents seront plus heureux et qu’elle aussi pourrait avoir des sourires ? Et puis, il pourra jouer avec elle et elle ne se sentirait plus aussi seule. Oui, un petit frère, elle aimait beaucoup cela.

   – Je t’attends avec impatience petit frère, se murmura-t-elle doucement.

Si seulement elle avait pu prévoir ce qui allait réellement arriver.

 

***

 

   5 ans plus tard…

 

   Olivia sentit quelque chose lui caresser doucement la plante des pieds. Elle fronça les sourcils pendant que son cerveau imprimait ce qu’on était en train de lui faire. Soudainement, elle se releva en position assise sur le lit, oreiller entre ses mains, prête à donner le coup fatal à la personne qui venait de la toucher dans son sommeil.

   – Ce n’est que moi ! Ce n’est que moi ! se défendit l’envahisseur en haussant les bras en signe de paix.

   Olivia soupira de soulagement et quitta sa position d’alerte afin de s’asseoir en tailleur sur le lit. Elle regarda la jeune femme de quinze ans en face d’elle avant de lui lancer l’oreiller dessus.

   – Hey ! Je suis venue en paix à présent ! s’exclama Enorah essayant de l’éviter.

   – Tu ne devrais pas dormir ? Si la surveillante nous entend, on peut être certaine que ce weekend on ne pourra pas sortir en ville.

   Olivia leva les yeux au ciel lorsqu’elle vit Enorah hausser les épaules dans un geste désinvolte. Elle ne semblait pas se préoccuper de la sortie de ce weekend et pour être honnête, elle non plus. Elles n’avaient jamais été du genre à aller faire les magasins ou se trouver dans un endroit bondé de monde. Elles préféraient rester à l’internat pour lire un bon livre tout en mangeant des sucreries en cachette.

   L’internat. Olivia ferma les yeux en repensant à comment elle en était arrivée là avant que son regard se dirige vers la lettre qui se trouvait sur sa table de chevet. Après que son père eut appris que sa femme allait avoir un fils, tout a changé dans le manoir. L’ambiance était légère et joyeuse, Olivia avait même eu le droit à un gâteau pour son anniversaire. Jusqu’à ce que le bébé naisse. Un magnifique nourrisson, fort et en bonne santé prêt à reprendre la relève pour la prochaine génération. Ce n’est qu’un mois plus tard qu’Olivia compris ce qui allait advenir d’elle. Elle retrouva sa nourrice en train de siffloter tout en préparant une valise avant qu’elle ne lui ordonne, avec un sourire que la petite fille de onze ans qu’elle était pouvait qualifier de sinistre, de monter dans la voiture qui attendait devant la porte. C’est ainsi qu’elle fut déposée à l’internat et que le seul contact qu’elle avait avec sa famille depuis quatre ans n’était que de courtes lettres sans émotion.

   Cependant, celle se trouvant sur son bureau était d’une tout autre intonation. Longue de presque trois pages, un exploit pour son père, ce n’était pas la seule chose qui avait intrigué la jeune femme en la lisant. L’écriture de son père semblait être enjouée et si elle osait le dire heureux de la nouvelle qu’il lui annonçait.

   – Enorah, que penses-tu de l’amour ? demanda soudainement la jeune femme.

   Sa camarade de chambre la regarda avec de grands yeux, c’était la première fois qu’elles abordaient un tel sujet ensemble. Étant dans un internat pour femme depuis leurs onze ans et n’ayant presque aucun contact avec le monde extérieur, elles ne s’étaient jamais posé la question sur l’amour. Mais à présent la question était plus que légitime.

   – L’amour ? Tel qu’on le lit dans les films ?

   – Je veux dire, est-ce que cela existe vraiment ? Est-ce que l’on rencontre le grand amour par hasard ?

   – Qu’est-ce qui se passe Olivia ? Tu es étrange. Jamais encore tu n’avais eu ce genre de remarque ou même de questionnement envers l’amour. Je peux même dire que tu n’y as jamais pensé ! Du moins, jamais devant moi.

   Olivia soupira et passa une main confuse dans ses cheveux châtain, il était vrai qu’elle n’avait jamais réfléchi à son futur mari, ou à l’amour en général, elle n’avait que quinze ans ! Cependant, il était temps pour elle d’y réfléchir sérieusement parce que cette lettre contenait tout son avenir et même celui qu’elle n’avait pas choisi.

   – J’ai reçu une lettre de mes parents, dit la jeune femme attrapant la lettre sur la table pour la donner à son amie.

   Elle vit Enorah froncer les sourcils avant de l’ouvrir et de la lire. Ses yeux parcoururent l’écriture calligraphique du duc Antonio avant de les poser sur elle avec un regard larmoyant.

   – Dis-moi que c’est une plaisanterie, je t’en supplie !

   Olivia secoua la tête négativement, cela ne ressemblait en rien à une plaisanterie et elles le savaient toutes les deux.

   – Tu ne peux pas partir de l’internat ! Tu n’as que quinze ans ! Et ton diplôme ? Il faut que tu le passes.

   – Tu as bien lu la lettre. Tu sais très bien qu’une fois mon père a décidé quelque chose je ne peux pas aller contre sa volonté.

   – Olivia, il veut te marier ! Il t’a offert au premier homme riche avec un titre pour que tu l’épouses.

   – Enorah, ne réagis pas comme cela. Tu es du même milieu que moi, tu sais très bien que dans l’aristocratie Astriadienne nous nous marions qu’entre nous. Jamais il ne m’aurait laissé épouser qui je souhaite et ton père non plus.

   – Certes, mais contrairement au tien, mon père vient me fois deux fois par moi et je passe toutes les vacances à la maison. De plus, jamais il ne me marierait à quinze ans, sans diplôme et sans que je sois prête.

   – Bien. Si tu essayes de me dire que mon père n’a aucune affection pour moi, tu as raison ! Je le sais. Et tu sais ce qu’est le pire ? Le pire c’est quand tu as tout essayé et que tu essayeras encore tout ce qui est en ton pouvoir pour avoir ne serait-ce qu’un sourire. Pour avoir un regard qui montre qu’il est fier. Pour avoir de l’amour.

   – Olivia…

   – Non tais-toi ! s’exclama la jeune femme. Parce que si le fait de me marier avec cet homme lui fait plaisir, si grâce à cela, je pourrais avoir la même étincelle dans son regard que lorsqu’il a posé les yeux sur Benjamin. Alors, je le ferais. Je le ferais. Je le ferais, vraiment, peu importe ce qu’il m’en coûte.

   Une larme coula doucement sur le visage d’Enorah. Jamais elle ne pourrait comprendre cela, jamais elle ne pourrait accepter cela. Parce qu’elle n’avait jamais vécu ce qu’Olivia avait vécu. Et voir son amie avec toute cette peine dans son cœur lui faisait plus de mal qu’autre chose.

   – Je suis désolée. Je ne voulais pas te blesser.

   – Je vais bien, sourit doucement la jeune femme comme si elle se consolait elle-même. Je vais aller bien.

   – Olivia, je serais toujours ton amie même si tu quittes l’internat je serais toujours là pour toi ! Je t’écrirai des lettres et lorsque je sortirai de l’internat le weekend ou pendant les vacances on pourra se voir et je t’appellerai ! d’accord ? Je suis ta meilleure amie.

   Un sourire se dessina sur les lèvres de la jeune femme, beaucoup plus sincère que le précédent. Elle n’avait aucun doute qu’Enorah resterait présente auprès d’elle, elles venaient du même milieu et même si ses parents lui avaient donné plus d’affection, elle avait tout de même été soumise aux mêmes exigences qu’Olivia. Elles se comprenaient, tout simplement.

   – Merci Enorah. Tu es la meilleure des meilleures. Tu es ma seule amie.

   Enorah la prit dans ses bras et la serra très fort, presque à l’en étouffer, avant de lui donner une dizaine de baisers sur son visage. Si elle était autant frustrée et triste qu’Olivia s’en aille de l’internat, c’était aussi parce qu’elle allait se retrouver seule dans cet endroit austère. Olivia était aussi, sa seule amie.

   – Quand est-ce que tes parents viennent te chercher ?

   – La semaine prochaine.

   – Alors nous avons une semaine pour être ensemble, n’est-ce pas ?

   – Notre dernière semaine…

   – Ce ne sera pas un adieu, dit Enorah essuyant les larmes qui coulèrent sur ses joues.

   – Ce ne sera jamais un adieu. Juste un « à bientôt ».

   Elles se regardèrent et pourtant elles ne pouvaient se voir, car les larmes qui emplissaient leurs yeux étaient beaucoup trop nombreuses pour qu’elles ne puissent distinguer quoi que ce soit.

   Un au revoir. Ce n’était qu’un au revoir.

   Mais son cœur était déjà brisé à cette pensée.

 

À SUIVRE…

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